Chanson des gars de Campénéac en filerie à Augan

By | 17 février 2015

 

Chanson des gars de Campénéac en filerie à Augan

d’après le Comte Xavier Fournier de Bellevue

 Ce fut dans la cour de la métairie de la Porte du Bois-du-Loup qu’eut lieu vers 1585 le fait qui donna naissance à la fameuse « Chanson des gars de Campénéac »

Les gâs de Campénéac aimaient beaucoup courir les assemblées et les « fileries« ; ils aimaient aussi beaucoup les luttes, et avaient presque toujours le dessus sur les habitants des paroisses voisines, ceux d’Augan en particulier. Ceux-ci résolurent de se venger de leurs défaites; mais, n’osant pas se mettre en avant, ce furent les filles d’Augan qui vengèrent l’honneur de leurs compatriotes, en jouant un bon tour aux gâs de Campénéac.

Un jour qu’il y avait danse à la ferme de la Porte du Bois-du-Loup, tous les gâs, pour être plus libres de leurs mouvements, avaient déposé leurs  » galicelles  » (sorte de paletots en castor à longues basques que portèrent les hommes du pays de Ploërmel jusque vers 1860; les galicelles étaient de couleur brune ou noire, et leurs boutonnières étaient cousues de fil rouge). Les filles d’Augan, à la dérobée, prirent les galicelles des gâs de Campénéac et les jetèrent dans le puits de la ferme de la Porte; et, à la fin de la danse, à la nuit venue, force fut aux gâs de Campénéac de s’en aller en gilet, après avoir dit en vain aux fillettes « d’Augan » : « Rendez les galicelles aux gâs de Campénéac »

Les Auganais, fiers de ce tour, firent une chanson sur cette aventure; et ce fut la chanson dite  » des gâs de Campénéac.  »

Voulez-vous ouïr chanter chansonnette jolie ?

Des gâs de Campénéac, coureurs de filerie,

Coureurs de filerie, au Bois-du-Loup s’en vont;

Courant la filerie ont reçu un affront.

 

Ils marchaient deux à deux en cadets de noblesse (bis).

S’ti-là qu’à la grand’barbe (2) i mache le premier,

On voit bien à sa marche que c’est un couturier.

 

Ils disaient en allant  » Garçons, prenons courage,  »

Des fillettes d’ Augan j’aurons le cœur en gage;  »

Mais surtout prenons garde et puis parlons plus bas

Car buisson a oreille et il nous entendra.  »

 

Quand ils sont arrivés, ils se sont mis en danse (bis),

Pour prendre la cadence ont dépouillé leurs draps,

L’zont donnés à des filles qui ne les aimaient pas.

 

Celles-ci les ont jetés dans le puits de la Porte

Puis y ont mis dessus des épin’s et des roches,

Des épin’s et des roches tant elles en ont jetés

Que jusqu’au fond du puits ell’ les ont fait couler.

 

Quand fut le matin jour, la compagnie déloge (bis),

La compagnie déloge, chacun serrait ses draps (3).

Sinon ces pauvres diables qui ne les avaient pas.

 

« Les fillettes d’Augan, rendez nos galicelles « (bis),

Rendez nos galicelles rendez-les hardiment:

« Si vous sont reconnues vous coût’ront de l’argent. »

 

Nous les ferons bannir au prône de grand’messe;

« Cell’s qu’en seront saisies rougiront comme braise;

 » Oh! qu’ell’s auront grand honte quand le curé dira:  »

Rendez les galicelles aux gâs de Campénia.  »

 

1 -Voir au sujet de cette chanson :  » La Chanson des gars de Campénéac « , par M. de la Borderie : Galerie Bretonne, t. Il, p. 255, 18 pages; et  » La Chanson des gâs de Campénéac « , par le marquis de Bellevüe: Bulletin de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine, année 1908, p. 311, etc.

(2) Voici l’acte de sépulture de ce Badouel, tel qu’il est inscrit sur la registre de la paroisse de Campénéac :  » Le corps de François Badouel, dit la  » grand’barbe « , âgé de 105 ans, a été inhumé en l’église, proche l’autel du Rosaire, au deuxième rang, le 23e jour de mars 1666, après avoir reçu les Sacrements de l’Église.  » Supposant qu’il avait 25 à 28 ans lors de la scène du Bois-du-Loup, cela donnerait comme date à la  » Chamson des gâs de Campénéac  » de 1585 à 1589.

(3)  » Draps  » :  » vêtements « .

Une variante ajoute que les  » gâs de Campénéac « , furieux de ce tour, auraient voulu s’en prendre aux gâs d’Augan, et, les traitant de voleurs de ruches et d’habits, auraient engagé avec eux une bataille à coups de bâtons. Mais, les bâtons des pauvres dépouillés ayant été sciés à moitié par le vieux bonhomme de la ferme de la Porte, ils furent non seulement volés, mais battus, et naturellement pas contents. Leur mécontentement devint de la colère quand la farce dont ils avaient été victimes eût été mise en chanson. Aussi, depuis, on ne pouvait chanter impunément devant eux la  » chanson des gâs de Campénéac « , que des rixes fréquentes et parfois sanglantes rendirent bientôt célèbre et populaire. Beaucoup de chansons et de cantiques des XVIle et XVIIIe siècles furent mis sur cet air; on en parla même à la Cour, où l’on prétend qu’un gentilhomme du Pays d’Augan la chanta aux rois Louis XIV et Louis XV.

En 1665, quatre bourgeois de la ville de Ploërmel apprirent à leurs dépens le danger qu’il y avait à faire entendre cet air aux gâs de Campénéac. Le 19 mai 1665, Jean-François Larcher, seigneur du Bois-du-Loup, plus tard colonel de dragons, épousa Thérèse Mérel, fille de Mathurin Mérel, Sr de Kergal, syndic de Ploërmel, et de Françoise Boscher, De de la Taupe; et, quelques semaines après, le frère de la jeune mariée, Vincent Mérel, Sr de Kérivalan, avocat et receveur des Domaines à Ploërmel, vint, avec trois autres habitants de cette ville, Pierre Charpentier du Harda, syndic de Ploërmel, Bertrand Salaün de Kermoal officier, et Messire Siméon Renaud, aumônier de la Chapelette, au château du Bois-du-Loup, faire visite aux nouveaux mariés. Ils trouvèrent là le recteur d’Augan Messire Pierre Nouvel, homme d’esprit, aimant fort la plaisanterie, et originaire de Campénéac. Ils dînèrent tous ensemble; et, l’après-midi, ils revinrent de compagnie au presbytère d’Augan. Là, le recteur leur fit servir une copieuse collation, où le vin ne manquait pas. Dans la joie du repas, la « Chanson des gâs de Campénéac  » fut chantée, et le malin recteur en prit occasion pour faire un défi aux Messieurs de Ploërmel. Il paria qu’ils n’auraient pas le courage de traverser, en s’en allant, le bourg de Campénéac, en chantant la chanson. Le pari fut tenu et nos quatre héros se disposèrent à l’exécuter. M. Salaün prit le chapelain en croupe, et les autres, enfourchant leurs montures, prirent la route de Campénéac. Arrivés clans le bourg, ils se mirent à chanter la fameuse chanson: mais ils ne la chantèrent pas longtemps. Les habitants sortirent en hâte de leurs maisons, et, devant leur attitude menaçante, les quatre Ploërmelais, saisis d’effroi, piquèrent des deux et prirent de toute la vitesse de leurs chevaux le chemin de Ploërmel. Mais ils n’étaient pas au bout de leurs maux. Le malicieux recteur d’Augan avait, à leur insu, coupé à moitié les sangles de leurs selles, qui manquèrent soudain dans leur galopade; et ils se trouvèrent à terre, tandis que leurs montures continuaient leur course vers Ploërmel, où les malheureux, plus morts que vifs, arrivèrent à pied et fort tard dans la nuit. Cette aventure fut bientôt connue, et mise aussi elle en chanson sur l’air des  » Gâs de Campénia « . Cette chanson se compose de dix couplets; nous l’avons reproduite ailleurs (1).

Une autre aventure, sanglante cette fois, eut encore pour cause, quelques années plus tard, la terrible « chanson ». Des soldats du régiment de Guébriant, alors en garnison à Ploërmel, et ayant pour capitaine Jean-François de l’Hôpital, seigneur de la Rouardais, en Bains, ayant voulu eux aussi essayer de chanter cette chanson dans le bourg de Campénéac, en décembre 1694, furent attaqués par toute la population, armée de fourches et de bâtons. Plusieurs d’entre eux furent blessés et deux même furent tués. C’étaient Yves Mahé, de Fouësnant, et Michel Le Bourhis, de Morlaix, qui furent enterrés le 21 décembre 1694 à Campénéac, où ils sont dits sur les registres « soldats de la milice du régiment de Guébriant ».

Enfin, vers 1764, Jean-Baptiste-René de Couëtus de la Vallée, dont la famille était originaire de Campénéac, et qui était alors cornette au régiment de cavalerie de Royal-Etranger, fit, en traversant le bourg de Campénéac à la tête de sa compagnie, chanter par ses soldats la terrible  » chanson « . Les habitants, trouvant cette fois encore la plaisanterie injurieuse, voulurent lui faire un mauvais parti, et il dut, avec sa troupe, prendre au galop la route de Ploërmel. (1) Bulletin de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine, année 1908, p. 310 et suiv.

 

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