Histoire d’Augan : Introduction par l’abbé Gabriel BERNARD

By | 21 avril 2015

Introduction (pages 7 à 12 de l’Histoire d’Augan)

 

« Nous autres Bretons surtout ceux d’entre nous qui tiennent de près à la terre et ne sont éloignés de la vie cachée en la nature que d’une ou deux générations, nous croyons que l’homme doit plus à son sang qu’à lui-même et notre premier culte est pour nos pères. » Ernest Renan.

Dans mon enfance des années 1930 au pays de LIZIO tout comme au pays d’AUGAN, il y avait encore des veillées. Pour passer les soirées d’hiver, dans nos hameaux qui n’avaient ni routes ni lumière, on se réunissait entre voisins dans une maison. Groupés autour de l’âtre dans la tiède atmosphère de ces habitations côtoyées par l’étable, les hommes s’adonnaient à la confection des ruches, faites de paille peignée et d’écorces de ronces ou des paniers tressés avec la saule ou l’osier. Les femmes filaient la laine ou tricotaient. Les vétérans, assis sur les bancelles de chaque côté de l’âtre, fumaient la pipe et alimentaient la conversation.

En ce temps-là, en dépit des révolutions et des changements de régime politique qui s’étaient produits depuis un siècle, les usages, mœurs et coutumes n’avaient guère changé. Les quelques routes reliant les villages, le petit train partant de Ploërmel dans les diverses directions étaient des constructions trop récentes pour avoir modifié l’ordre économique. On vivait sur le sol, presque exclusivement des produits du sol. À part les hommes qui avaient quitté le toit paternel pour faire le service militaire dans une garnison de France ou d’Algérie et pour prendre part aux combats de la guerre 1914-1918, le monde connu se limitait pour la plupart de nos compatriotes aux frontières des paroisses limitrophes.

En fait de journaux, il n’y avait guère que l’OUEST-ECLAIR pour apporter quelques bribes des événements vécus depuis quelques jours déjà. C’est au cours de ces veillées que l’on se transmettait les nouvelles parvenues à la connaissance de chacun. Mais comme celles-ci étaient généralement assez brèves, la conversation revenait fréquemment et presque automatiquement aux mystères de la mort et aux événements du passé.

Le mystère de la mort

 Quelle place capitale il tenait encore dans notre vie locale en ce début du siècle! Pas un décès qui ne fut précédé d’un intersigne, d’une « signifiance ». Tantôt c’était le chariot grinçant et cahotant dans la nuit, sous le poids du cercueil qu’il conduisait au cimetière; le « traquet », bruit étrange dans le silence de la maison; tantôt un cierge allumé qui se dirigeait vers le cimetière, annonçant ainsi la mort dans les six mois, d’un jeune homme ou d’une jeune fille; enfin « l’Étava », sorte de longue flamme s’échappant du clocher où avait été baptisée la personne marquée du signe fatal et filant dans la nuit pour aller s’abîmer sur la cheminée de la maison qu’ils abritaient. L’Étava était à longue échéance: il portait jusqu’à dix-huit mois.

Mais rien n’est fini avec la mort: alors commence une autre vie dans laquelle les âmes n’ont pas rompu toute attache terrestre. Aussi n’étaient-ils pas rares les passants attardés dans la nuit qui avaient rencontré autour du cimetière, d’une croix isolée, ou des lieux qui lui furent jadis familiers, quelque fantôme facilement reconnaissable, errant pour l’expiation de ses péchés et sollicitant des prières pour son salut éternel.

Les événements du passé

Ils suscitaient une attention non moins vive: la fameuse guerre 14-18 avait profondément traumatisé nos pères dont la tête vibrait encore du bruit assourdissant des canons et dont l’esprit ne pouvait se défaire du souvenir des épiques combats à la baïonnette. Ils étaient intarissables quand ils évoquaient Douaumont ou le Chemin des Dames. Ils aimaient aussi parler de la séparation de l’Eglise et de l’État de 1906 avec les luttes contre les inventaires. Et parfois, ils rejoignaient par les dires de leurs ancêtres la Révolution elle-même qui avait semé tant d’angoisse dans nos campagnes que pour ainsi dire il n’est pas un chemin creux, pas un village, qui n’ait été le théâtre de quelque drame.

Aussi, après la récitation de la prière en commun qui toujours terminait la veillée, chacun rentrait-il au logis tout frémissant encore de ce qu’il venait d’entendre, mais sans bien savoir au juste si c’était d’effroi ou de douceur, tant il avait hâte d’écouter la suite le lendemain.

Mystères de la mort ! Culte du passé !

Qui donc désormais entretiendra la flamme de votre autel où l’âme bretonne puisait jusqu’ici tout son aliment? Car les veillées sont mortes avec les années 40. Si nos paroisses rurales, éloignées des grands centres urbains, ont pu garder plus longtemps que d’autres leur particularisme local, on ne peut cependant nier que le torrent de la civilisation mécanique et uniforme les entraîne un peu plus chaque jour dans son tourbillon. L’automobile, l’électricité, l’avion, la TSF, la télévision sont en train de modifier complètement les conditions de l’existence et le grand ébranlement produit par la guerre 39-45 et celle d’Algérie a éveillé dans les esprits des horizons nouveaux.

Les premiers effets de ces bouleversements ont porté sur l’habillement: la veste courte en drap noir et bordée de velours que portaient nos grands-pères aux jours de cérémonie ainsi que le chapeau rond à fond plat en feutre noir était avec rubans de velours flottant sur les épaules, ne sont plus qu’un souvenir rappelé dans les fêtes folkloriques. Évolution parallèle dans la toilette des femmes: les bandes de velours qui bordaient leur robe et les manches si amples du corsage ont totalement disparu; la guimpe et la coiffe soigneusement amidonnées tout comme le châle et le tablier de velours brodés ont disparu; rien ne saurait désormais distinguer nos paysannes et paysans de leurs contemporains de Rennes et de Paris.

L’ameublement intérieur des maisons a suivi la même courbe. Quand leurs sculptures et leurs fuseaux ne leur ont pas fait prendre le chemin des magasins d’antiquaires, il y a belle lurette qu’ils ont été mis au rancart, ces lits-clos, jadis l’orgueil des intérieurs bretons qui abritèrent dans l’amour et dans la mort tant de générations successives.

Il n’est pas jusqu’aux méthodes et genres de culture que l’introduction des machines ne soit venue profondément modifier, ce dont il faut d’ailleurs, cette fois, se réjouir sans réserve quand on pense au soulagement physique engendré par eux.

Mais cette évolution générale qui semble devoir tout entraîner dans son sillage, aura-t-elle sa répercussion sur les âmes? Les vents qui soufflent de l’extérieur parviendront-ils à balayer de la face de nos champs, de nos bois, de nos rivières et de nos landes, cette atmosphère spirituelle et morale qui depuis des millénaires constitue l’élément vital de notre race?

J’en doute: l’évolution pour être féconde doit se faire sur le modèle de ces beaux arbres dont les ramures ne cessent de monter, au fur et à mesure que par leurs racines, ils plongent plus profondément dans le sol maternel.

C’est dans cette pensée que je voudrais tenter de retracer l’histoire de notre beau pays d’Augan, telle que j’ai pu la reconstituer, à l’aide de documents puisés non seulement dans les archives paroissiales mais encore dans le « Cartulaire du Pays de Redon », dans « L’Histoire des Comtés du Porhoët », dans « L’Histoire de la Sénéchaussée de Ploërmel » et dans « L’Histoire des paroisses du diocèse de Vannes » du chanoine Lemenée.

Histoire, certes pleine de lacunes notamment en ce qui concerne l’Ancien Régime ainsi que la période du Xème au XVIème siècle, mais que d’autres, après moi, pourront combler. Si d’aucuns ont en leur possession quelques documents, je leur serai reconnaissant de me les transmettre.

Tel quel, ce travail, je l’offre à tous mes paroissiens d’Augan que j’aime profondément, dans l’espoir qu’ils y trouveront des raisons nouvelles d’aimer ce coin de terre qui fut le témoin des joies et des peines de tant de générations de leurs ancêtres, persuadé au surplus comme l’écrivait René Bazin :

 « que tous les siècles d’un pays sont les feuillets d’un même livre et que les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé« .

Gabriel BERNARD, Recteur

1er avril 1987

Ce livre de 252 pages est disponible sur place à la Mairie d’Augan ou au Champ Commun à Augan. Il peut être aussi commandé par correspondance.

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